39

COUVE-TEMPÊTE
(anciennement Dejagore)

Même moi, l’heure à laquelle j’avais fixé le réveil me faisait râler. Nous avons mangé en hâte, à l’écart de la clique de mes vaillants seconds qui pestaient sec contre mes plans. Un corbeau s’est perché sur le mât de la tente d’en face et a braqué un œil vers moi, ou peut-être vers Madame. Ce salopiaud nous observait, j’en avais bien l’impression. Vraiment ! Comme s’il n’y avait pas assez des autres.

Je me sentais en grande forme. Madame, en revanche, semblait se mouvoir avec moins de grâce que d’habitude. Et tous comprenaient ce que cela signifiait, ces sales gnomes souriants.

« Je ne vous comprends pas, capitaine, a protesté Mogaba. Pourquoi faites-vous tant de mystère ?

— Je ne peux pas vous dévoiler ce que j’ai en tête. Contentez-vous de prendre position selon les jalons et de proposer le combat. S’ils l’acceptent, on verra ce qui s’ensuit. Il faudra qu’on évite de prendre une rouste avant de se soucier de la phase suivante. »

Les lèvres de Mogaba se sont crispées en un rictus amer. Il ne m’appréciait pas beaucoup en cet instant. Il pensait que je ne lui faisais pas confiance. Il a tourné la tête vers Clétus et ses gars qui s’efforçaient de confectionner des sacs, des pelles et des paniers pour une armée. Un millier d’hommes ratissaient les fermes à la recherche d’outils, de bannes et de seaux. D’autres encore cousaient les bâches des chariots pour en faire des sacs.

Ils ne connaissaient que ma consigne : se préparer pour de gros travaux de terrassement.

Un millier d’hommes s’activaient aussi à couper des arbres. Il en faut, du bois, pour s’emparer d’une ville.

« Patience, mon ami. Patience. Tout sera prêt en temps utile. » J’ai gloussé.

Qu’un-Œil a murmuré : « Il a retenu cette devise de notre défunt capitaine. Garder le silence jusqu’à ce que des olibrius essaient de vous embrocher à coups de lance. »

Rien ne pouvait m’atteindre ce matin. Gobelin et lui auraient pu se crêper le chignon pire qu’à Taglios, je me serais contenté de sourire. J’ai rompu un quignon de pain pour saucer mon assiette. « C’est bon, on se met en tenue, et hardi petit ! »

Force est de constater deux choses quand on est le seul homme sur quarante mille à avoir assouvi certaines ardeurs la nuit précédente. Trente-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf sont si envieux qu’ils vous détestent. Mais on respire une bonne humeur qui devient communicative.

En outre, on peut toujours leur promettre qu’ils auront leur tour une fois franchie la muraille en face.

Des éclaireurs sont venus au rapport pendant que j’enfilais ma tenue d’Endeuilleur. Ils ont annoncé que des ennemis sortaient conjointement de la ville et de la caserne. Et qu’ils sortaient en masse, les salauds. Au moins dix mille de la caserne, et peut-être tous les citadins en état de porter une arme.

Ceux-là traînaient sûrement les pieds pour aller au combat. Et il y avait peu de chances qu’ils soient aguerris.

J’ai posté la légion de Mogaba sur la gauche, celle d’Ochiba sur la droite et la nouvelle troupe de Sindawe au centre. Derrière eux, j’ai disposé tous les anciens captifs que nous avions pu armer, en espérant qu’ils sauraient rester en rang. Nos premières lignes, tout en blanc, paraissaient bien disciplinées, professionnelles et prêtes.

Jeu d’intimidation.

J’ai déployé chaque légion en centuries, en laissant un peu d’espace entre les trois. J’espérais que nos adversaires n’auraient pas le culot de se précipiter immédiatement par une brèche.

Madame a pris ma main avant d’enfourcher son cheval, l’a serrée. « Ce soir, intra-muros.

— Entendu. » J’ai déposé un baiser sur sa joue.

Elle m’a murmuré : « J’aurai du mal à tenir en selle. Je suis en compote.

— C’est l’embêtant quand on est une femme. »

J’ai enfourché mon cheval.

Aussitôt les deux gros corbeaux noirs se sont juchés sur mes épaules ; leur poids soudain m’a fait sursauter. Tout le monde en est resté bouche bée. J’ai parcouru les collines du regard mais sans apercevoir ma souche baladeuse. Cela dit, je constatais une forme de progrès. C’était la deuxième fois que tout le monde voyait les volatiles.

J’ai coiffé mon heaume. Qu’un-Œil a allumé ses feux factices. J’ai pris mon poste devant la légion de Mogaba. Madame s’est campée devant la troupe d’Ochiba. Murgen est allé brandir l’étendard devant la légion de Sindawe, à dix pas de la ligne de front.

J’ai été tenté de charger tout de suite. Un vent de confusion soufflait sur les lignes ennemies qui cherchaient à se réorganiser. Mais j’ai préféré leur laisser un peu de répit. À vue de nez, la plupart des hommes de Couve-Tempête n’avaient pas envie de se trouver là. Autant leur laisser un peu le loisir de nous regarder, bien en rang, tous en blanc, prêts à les tailler en pièces. Qu’ils aient le temps d’imaginer comme il serait agréable de retourner à l’abri de ces formidables remparts.

J’ai fait signe à Murgen. Il a trotté en avant et est parti au galop parallèlement à la ligne de front ennemie en exhibant l’étendard. Des flèches ont volé et l’ont raté. Il a répondu par des railleries. Ça ne les a pas terrifiés au point de provoquer une débandade.

Mes deux corbeaux sont allés l’accompagner à tire-d’aile, bientôt rejoints par des milliers de leurs congénères venus les dieux savaient d’où. Les compagnons de la mort survolant le camp des maudits. Pas mal, vieille souche. Mais toujours pas suffisant pour les faire détaler.

Mes deux corbeaux sont revenus sur mes épaules. Je me sentais vaguement telle une statue. J’ai espéré que les corbeaux savaient se retenir mieux que les pigeons.

Le premier passage de Murgen ne lui a pas suffi, alors il est reparti dans l’autre sens en braillant plus fort.

J’ai remarqué du désarroi dans la formation ennemie qui continuait d’avancer. Quelqu’un ou quelque chose flottait à un mètre cinquante du sol, assis en position du lotus, tout en noir. La forme a dérivé jusqu’à une douzaine de mètres devant son armée, puis s’est immobilisée. Un Maître d’Ombres ? Fatalement. J’avais la chair de poule rien qu’à l’observer. Ma tenue à moi avait beau faire de l’effet, ce n’était qu’un déguisement.

Les provocations de Murgen ont fini par en excéder certains. Une poignée de cavaliers, puis un escadron, se sont élancés à sa poursuite. Il a pivoté sur sa selle et les a injuriés. Ils n’avaient aucune chance de le rattraper, naturellement. Vu son cheval.

J’ai ronchonné. Leur discipline était moins lâche que je ne l’aurais souhaité.

Murgen a ralenti, les a laissés gagner du terrain, encore et encore, puis est reparti de plus belle comme ils parvenaient à une quinzaine de mètres de lui. Ils se sont élancés à sa suite dans les réseaux de cordes que j’avais fait tendre dans l’herbe pendant la nuit.

Hommes et chevaux ont culbuté. Les derniers de l’escadron se sont renversés sur ceux qui avaient déjà mordu la poussière. D’une volée de flèches, mes archers ont décimé la plupart des cavaliers et de leurs montures.

J’ai dégainé mon épée qui luisait, fumait, et j’ai donné l’ordre d’avancer. Les tambours battaient une marche lente. Les hommes à l’avant ont tranché les cordes et achevé les blessés. Otto et Hagop, sur les ailes, faisaient sonner les trompettes mais ne chargeaient pas. Pas encore.

Mes gars savaient marcher au pas. Sur ce beau terrain plat, ils demeuraient comme tirés au cordeau sur toute la ligne de front. Ça devait produire un certain effet en face, où des types cherchaient encore leur place dans les rangs.

Nous avons passé le premier des monticules qui parsemaient le terrain. L’artillerie était censée prendre position à son sommet et canarder ce qui se présenterait. J’espérais que Clétus et sa bande auraient le bon sens de harceler le Maître d’Ombres.

Pour l’heure cette créature était la grosse inconnue.

J’espérais aussi que Trans’ rôdait dans les parages. Toute l’affaire pouvait virer à la catastrophe si tel n’était pas le cas et si l’autre mauvais se déchaînait, en face.

Deux cents mètres nous séparaient. Leurs archers ont décoché quelques traits imprécis sur Madame et moi. J’ai fait halte et j’ai donné un autre signal. Les légions se sont arrêtées elles aussi. Excellent. Les Nars étaient attentifs.

Dieux ! qu’ils étaient nombreux en face.

Et ce Maître d’Ombres, qui flottait tranquillement, attendant peut-être que je fasse mon faux pas. J’avais l’impression qu’il frémissait des narines à mon approche.

Mais il ne réagissait pas.

Le sol a tremblé. Les rangs ennemis se sont agités. Ils voyaient le danger arriver, mais il était trop tard pour le contrer.

Dans un grondement, les éléphants prenaient de la vitesse sur les ailes entre les légions. Quand les pachydermes sont passés à mon niveau, les types d’en face poussaient déjà de grands cris et cherchaient où fuir.

Une salve de douze traits de baliste a sifflé au-dessus de nos têtes et s’est abattue dans le secteur du Maître d’Ombres. Pas mal visé. D’ailleurs quatre l’ont touché. Une magie protectrice les ont neutralisés, mais ils l’ont quand même salement secoué. Pas bien vif, le Maître d’Ombres. Veiller à sa survie semblait sa limite.

Une seconde salve a fait mouche de nouveau, juste avant que les éléphants n’atteignent ses hommes. Les tireurs s’étaient appliqués.

J’ai donné le signal et envoyé mes quatre mille hommes les plus avancés à l’assaut. Ils se sont élancés en hurlant.

Ceux de derrière ont reconstitué une ligne de front normale et repris la progression.

Ça a donné un carnage indescriptible.

Nous les repoussions, encore et encore, mais leur masse était telle que nous ne parvenions pas vraiment à la disloquer. Quand enfin ils ont pris leurs jambes à leur cou, ils se sont pour leur grande majorité engouffrés dans la caserne. (Aucun n’a pu se réfugier à Couve-Tempête, la ville ayant refermé ses portes sous leur nez.) Ils ont emmené leur champion Maître d’Ombres avec eux. Ça m’était bien égal. Il leur avait été aussi utile qu’une tétine à un sanglier.

Il faut dire qu’un des traits de la seconde salve avait percé ses protections. Je suppose que ça l’avait distrait.

Son inefficacité, nous la devions sans doute à Trans’.

Ils avaient laissé peut-être dix mille hommes sur le terrain. Le seigneur de guerre en moi était déçu. J’avais espéré leur infliger davantage de pertes. Pour autant, pas question que je me lance à l’assaut de la caserne. J’ai fait reculer les hommes, envoyé des équipes au secours des blessés, disposé la cavalerie en barrage contre toute sortie depuis la ville ou la caserne. Puis je me suis remis au travail.

J’ai ancré mon aile droite non loin de la route que nous avions empruntée pour venir à Couve-Tempête, juste hors de portée de flèche des barbacanes d’une des portes. Mes troupes s’alignaient à angle droit de la route. J’ai laissé les hommes souffler.

Mes terrassiers ont mis leur entraînement en pratique. Parallèlement à la route, ils ont creusé une tranchée. Elle commençait à portée de flèche de la muraille et se prolongeait jusqu’au pied des collines. Large et profonde, elle protégerait mon flanc une fois finie.

Les ouvriers ont transporté les déblais jusqu’à la route et ont entrepris de bâtir une rampe. D’autres construisaient des mantelets pour abriter les terrassiers qui approchaient de la muraille.

Une pareille foule peut déplacer de grosses quantités de terre. Les défenseurs se sont rendu compte que notre rampe s’accolerait à leur muraille en quelques jours. Ça ne leur a pas plu. Mais ils n’avaient aucun moyen de nous en empêcher.

Les hommes fourmillaient. Les anciens captifs, avides de prendre leur revanche, travaillaient d’arrache-pied comme s’ils espéraient en découdre à la nuit tombante.

Au milieu de l’après-midi, en bout de tranchée, ils ont entamé un tunnel dirigé droit vers le rempart, sans cacher qu’il s’agissait d’une sape. Les travaux se poursuivaient en surface. Simultanément, ils commençaient à défoncer le terrain sur notre flanc gauche aussi.

Dans trois jours, mon armée serait protégée par une paire de tranchées profondes dont les déblais hausseraient peu à peu ma rampe d’attaque. Rien ne pourrait nous arrêter.

Il fallait qu’ils réagissent sans retard.

J’espérais garder l’initiative, continuer de les prendre de court.

Fin d’après-midi. Le ciel s’est couvert. Des éclairs ont folâtré derrière les collines au sud. Mauvais signe. Une tempête affecterait davantage mes hommes que ceux d’en face.

Pourtant, malgré le vent froid et quelques averses éparses, les terrassiers ne se sont quasiment pas interrompus. Ils ont dîné sur le pouce, puis allumé des lanternes et de grands feux pour continuer de nuit. J’ai fait poster des sentinelles pour éviter toute surprise et j’ai fait relayer les équipes pour que chacun mange et dorme.

Drôle de journée. Ma tâche se limitait à prendre un air important en distribuant les ordres que j’avais déjà préparés.

J’avais le loisir de rouler dans ma tête le souvenir de la soirée précédente et de son déroulement si décevant.

Je m’étais fait un monde de cette nuit-là, mais elle n’avait pas comblé mes attentes. Son côté un peu coûte-que-coûte me laissait vaguement déçu.

Non que je regrettais quoi que ce soit. Jamais de la vie.

Un jour, quand je serai vieux et à la retraite, et que je n’aurai rien de mieux à faire que philosopher, je m’assiérai pendant un an pour essayer de comprendre pourquoi c’est toujours mieux en fantasme qu’en réalité.

J’ai envoyé Crapaud fureter et tester le moral des défenseurs. Il était bas. Tâter de l’éléphant leur avait fait passer toute envie de combattre.

Les remparts de Couve-Tempête n’étaient pas extrêmement surveillés. La plupart des hommes de la ville avaient participé à la sortie du matin et n’en étaient pas revenus. Mais Crapaud n’a rapporté aucun signe de désarroi profond émanant de la citadelle, où siégeait un autre Maître d’Ombres. Pour tout dire, il lui a même semblé percevoir une certaine confiance quant au résultat final.

La tempête remontait vers le nord. Elle avait l’air gratinée. J’ai réuni mes capitaines. « Du mauvais temps nous arrive dessus. Ça va peut-être nous compliquer drôlement le boulot, mais on ne baisse pas les bras. Ce sera d’autant plus inattendu. Gobelin, Qu’un-Œil, dépoussiérez-moi vos bons vieux sortilèges soporifiques. »

Ils m’ont lorgné avec suspicion. Gobelin a murmuré : « Et allez donc ! Encore une nuit blanche en perspective pour des nèfles. »

Qu’un-Œil lui a soufflé : « Je vais l’employer contre lui, ce sortilège, un de ces jours. » Puis à voix haute : « Bien, Toubib. De quoi est-il question ?

— De nous. De passer par-dessus le rempart et d’ouvrir les portes après avoir endormi les sentinelles. »

Même Madame a marqué de la surprise. « Tu vas gaspiller tout ce travail sur la rampe ?

— Je n’ai jamais eu l’intention de l’utiliser. C’était pour les convaincre que je me lançais dans un siège traditionnel. »

Mogaba a souri. Je crois qu’il avait flairé la supercherie.

« Ça ne marchera pas », a grommelé Gobelin.

Je l’ai regardé en fronçant les sourcils. « Les gars qui creusent les tranchées aux abords de la muraille sont armés. Je leur ai promis qu’ils seraient du premier assaut pour prendre leur revanche. Quand les portes s’ouvriront, tout ce qu’on aura à faire, c’est prendre du recul pour observer.

— Marchera pas. Tu oublies qu’il y a un Maître d’Ombres là-dedans. Tu crois qu’il va nous laisser faire ?

— Oui. Notre ange gardien s’en assurera.

— Trans’ ? Je lui fais pas confiance pour deux picaillons.

— Qui te demande de lui faire confiance ? On lui sert de prétexte pour une de ses manigances. Il a intérêt à nous garder en forme. Pigé ?

— Dis donc, ça cogite dur, Toubib, a dit Qu’un-Œil. À force de fréquenter Madame, sans doute…»

Elle est restée de marbre. Ce n’était peut-être pas un compliment.

« Mogaba, j’aurai besoin d’une douzaine de Nars. Quand Gobelin et Qu’un-Œil auront endormi les sentinelles, Crapaud escaladera la muraille avec une corde et un grappin. Vous monterez ensuite pour prendre la barbacane par l’arrière et vous ouvrirez les portes. »

Il a acquiescé. « Quand y va-t-on ?

— Au plus tôt. Qu’un-Œil. Envoie Crapaud en reconnaissance. Je veux savoir ce que fait le Maître d’Ombres. S’il nous surveille, on ajourne. »

Nous nous sommes mis en route une heure plus tard. Tout se déroulait comme dans un manuel. On se serait crus protégés des dieux.

Une heure plus tard, tous les captifs – à l’exception de ceux que nous avions enrôlés dans les légions – s’engouffraient dans la ville. Ils ont atteint la citadelle et forcé son accès avant que la résistance s’organise.

Ils ont écumé Couve-Tempête, enragés, ignorant la pluie, les éclairs et le tonnerre, se défoulant sans doute à tort et à travers.

J’ai, dans ma tenue d’Endeuilleur, franchi les portes un quart d’heure après le grand mouvement de foule. Ôte-la-Vie chevauchait à mon côté. Les citadins terrifiés se cachaient à notre approche, même si certains d’entre eux paraissaient nous considérer comme des libérateurs. À mi-chemin de la citadelle, Madame a dit : « Tu as bluffé tout le monde, même moi. Quand tu m’as dit ce soir intra-muros…»

Une rafale de pluie crépitante l’a réduite au silence. Des éclairs ont fulguré en un soudain et brutal duel. À leurs lueurs, j’ai remarqué deux panthères qui se faufilaient et que je n’aurais pas décelées dans l’obscurité. Des frissons dont la pluie n’était pas la cause m’ont parcouru l’échine. J’avais déjà vu la plus grosse des deux dans une autre ville en guerre, quand j’étais jeune.

Elles se dirigeaient vers la citadelle, elles aussi.

« Qu’est-ce qu’elles fabriquent ? » ai-je demandé. Ma confiance était sérieusement ébranlée. Il n’y avait aucun corbeau dans cette tempête. Je me suis rendu compte que j’en étais venu à les associer à ma bonne étoile.

« Je ne sais pas.

— On ferait bien d’aller voir. » J’ai forcé l’allure.

Beaucoup de cadavres gisaient autour de l’entrée de la citadelle. Pour la plupart, il s’agissait de mes terrassiers. Les échos d’une lutte résonnaient à l’intérieur. Des gardes tout sourire m’ont salué gauchement. « Où est le Maître d’Ombres ? ai-je demandé.

— Elle est dans le donjon, à ce qu’on dirait. Tout en haut. Ses hommes se défendent bec et ongles. Mais elle ne les aide pas. »

Tonnerre et éclairs se sont déchaînés l’espace d’une bonne minute. La foudre martelait la ville. Le dieu du tonnerre était-il devenu fou ? Sans la pluie torrentielle, des centaines d’incendies se seraient déclarés.

Je plaignais mes légions, là-bas au campement. Peut-être Mogaba avait-il fait le nécessaire pour les abriter.

Après ce dernier accès paroxystique, la tourmente s’est muée en une pluie à peu près normale, seulement troublée par d’occasionnels et modestes éclairs.

J’ai levé le regard vers le donjon de la citadelle et – nouvelle sensation de déjà vu – j’ai entraperçu le temps d’une lueur une forme féline qui gravissait sa paroi. « Sacrénom ! »

Les grondements du tonnerre avaient couvert le martèlement des chevaux qui s’étaient approchés. Je me suis retourné. Qu’un-Œil, Gobelin et Murgen, l’étendard de la Compagnie encore au poing. Qu’un-Œil scrutait le sommet du donjon. Il arborait une expression à faire peur.

La scène lui évoquait les mêmes souvenirs qu’à moi. « Forvalaka, Toubib.

— Trans’.

— Je sais. Je me demande si c’était lui, la dernière fois.

— De quoi parlez-vous ? » s’est enquise Madame.

Pour toute réponse, j’ai dit : « Murgen, on va planter ce drapeau quelque part où tout le monde pourra le découvrir à l’aube.

— D’accord. »

Nous sommes entrés dans la citadelle. Madame a essayé de nous tirer les vers du nez, Qu’un-Œil et moi. J’ai été brutalement affecté de surdité passagère. Idem pour Qu’un-Œil. Nous avons commencé à gravir l’escalier obscur, rendu traître par le sang et les corps. On ne luttait plus au-dessus de nous.

Mauvais signe.

Les derniers combattants des deux camps se trouvaient dans une salle à quelques étages du sommet. Tous morts. « Ça pue la sorcellerie, a marmotté Gobelin.

— On monte, a coupé sèchement Qu’un-Œil.

— Ouais. »

Concorde totale entre eux. Pour une fois.

J’ai dégainé mon épée. Elle ne flamboyait plus désormais, pas plus que mon armure ne brasillait. Gobelin et Qu’un-Œil avaient d’autres chats à fouetter.

Nous avons rejoint Trans’ et le Maître d’Ombres sur la terrasse sommitale. Trans’ arborait sa forme humaine. Il tenait le Maître d’Ombres en respect. C’était une petite chose en noir, en laquelle on avait bien du mal à voir une menace. L’acolyte de Trans’ n’était pas là. J’ai dit à Gobelin : « Il en manque un. Ouvre l’œil.

— Pigé. » Il savait de quoi il retournait. Je l’avais rarement vu aussi sérieux.

Trans’ s’est avancé vers le Maître d’Ombres acculé. J’ai commandé à Madame par un geste de se ranger sur sa droite. Je me suis pour ma part placé sur sa gauche. Je ne savais pas trop ce que fabriquait Qu’un-Œil.

J’ai lancé un coup d’œil vers la caserne, au sud de la ville. La pluie avait cessé pendant qu’on gravissait l’escalier du donjon. La caserne éclairée était bien visible. J’ai eu l’impression que ses occupants se doutaient là-bas que quelque chose allait de travers ici, mais qu’ils n’entendaient pas se déplacer pour venir voir quoi.

Ils étaient tout beaux et proches. En installant de l’artillerie sur le chemin de ronde, nous pourrions leur pourrir la vie.

Le Maître d’Ombres s’est adossé contre un des merlons qui bordaient la terrasse, apparemment incapable d’une autre réaction. Pourquoi cette impotence ? Lequel était celui-ci ? Ombre-de-Tempête ?

Trans’ était à deux pas de lui, maintenant. Sa main s’est tendue et il a arraché la robe noire du Maître d’Ombres.

J’ai écarquillé les yeux. Madame a poussé un halètement audible à quinze pas. Qu’un-Œil a exprimé la surprise générale : « Ben merde ! Tempête ! Mais elle est morte, théoriquement. »

Tempête. Une autre des Dix qui étaient Asservis originels. Une autre qui, croyait-on, avait péri lors de la bataille de Charme, après avoir assassiné le Pendu et… Trans’ !

Aha ! me suis-je dit en mon for intérieur. Aha ! On règle ses comptes. Il y avait donc longtemps que Trans’ savait. Depuis le début, Trans’ faisait des pieds et des mains pour retrouver Tempête.

Et puisqu’il s’avérait qu’une Asservie miraculeusement survivante intriguait pour son compte, pourquoi ne pas imaginer qu’il y en aurait d’autres ? Disons… trois autres ?

« Ça alors ! Ils seraient encore tous vivants à part le Pendu, le Boiteux et Volesprit ? » J’avais vu ces trois-là raides de mes propres yeux.

Madame, immobile, secouait la tête.

D’ailleurs ces trois-là étaient-ils bien morts ? J’avais trucidé le Boiteux moi-même une fois, et pourtant il était revenu…

Ça m’a flanqué des frissons.

Les Maîtres d’Ombres ne représentaient pour moi que d’anonymes terreurs qui n’avaient pas de raison particulière de s’acharner sur moi. Tandis que les Asservis… Certains d’entre eux avaient des griefs précis et personnels contre la Compagnie.

Cette révélation brutale chamboulait entièrement cette guerre.

J’ignore ce qui a circulé entre Tempête et Trans’, mais l’air s’est mis à crépiter de haine électrique.

Tempête paraissait réduite à l’impuissance. Pourquoi ? Un moment plus tôt, elle avait déchaîné cette bourrasque monstrueuse sur nos têtes. Trans’ n’était pas fondamentalement plus puissant qu’elle. À moins, d’une façon ou d’une autre, qu’il ait pu mettre le doigt sur le point faible de tout Asservi : son nom véritable.

J’ai regardé Madame.

Elle le connaissait. Elle connaissait le nom véritable de chacun d’entre eux. Elle n’avait pas perdu la mémoire en perdant ses pouvoirs.

Le pouvoir. Je n’avais pas pensé que je l’avais là, pour ainsi dire sous la main, depuis tout ce temps. Son savoir valait la rançon de centaines de princes. Les secrets blottis dans son crâne pouvaient soumettre ou délivrer des empires.

À condition de savoir qu’elle en était détentrice.

Or certains le savaient.

Quitter la Tour et l’Empire avec moi lui avait demandé bien plus de courage que je ne l’avais cru à l’époque.

Il fallait que je repense et que j’infléchisse ma stratégie. Ces Maîtres d’Ombres, Trans’, le Hurleur, tous savaient ce dont je venais juste de me rendre compte. Elle pouvait s’estimer drôlement heureuse de n’avoir pas déjà été capturée et grillée à petit feu.

Trans’ a posé ses grosses sales paluches sur Tempête. Et c’est alors seulement qu’elle a commencé à résister. Avec une soudaine, étonnante violence, elle a – j’ignore comment – envoyé Trans’ bouler à l’autre bout du parapet. Il est resté étendu un moment, les yeux vitreux.

Tempête a voulu prendre la tangente.

Je lui ai décoché un coup d’épée à toute volée, en plein ventre. Ça ne l’a pas blessée, mais ça l’a coupée dans son élan. Madame l’a frappée de taille. Elle a esquivé. J’ai cogné de nouveau. Mais elle s’était relevée et se reculait. Ses doigts se sont agités. Des étincelles ont palpité dans ses mains.

Oh, merde.

Qu’un-Œil lui a fait un croc-en-jambe. Madame et moi avons frappé une nouvelle fois, sans grand effet. Alors Murgen y est allé aussi avec la pointe de la hampe de l’étendard.

Elle a poussé un hurlement de damnée.

Allons bon ?

Elle a voulu s’élancer de nouveau. Mais maintenant Trans’ était revenu à lui. Il avait pris une forme de forvalaka, cette espèce de léopard noir quasi invulnérable. Il a bondi sur Tempête et s’est mis à la lacérer. Elle rendait coup pour coup. On s’est reculés pour leur laisser la place et on est restés à distance.

Je ne sais pas ce qu’a fait Trans’ ni quand. Ou d’ailleurs s’il a fait quoi que ce soit. Peut-être Qu’un-Œil a-t-il fabulé. Mais à un moment, pendant la lutte, le petit homme noir s’est penché vers moi et m’a glissé : « C’est lui, Toubib. C’est lui qui a tué Tam-Tam. »

Ce drame ne datait pas d’hier. Son évocation ne m’inspirait presque plus rien. Mais Qu’un-Œil n’avait ni oublié ni pardonné. Il s’était agi de son frère…

« Qu’est-ce que tu comptes faire ?

— Je ne sais pas. Quelque chose. Je dois faire quelque chose.

— Et nous ? Tu veux nous priver de notre ange gardien ?

— De toute façon, il ne nous soutiendra plus longtemps, Toubib. Il a trouvé ici ce qu’il cherchait. Que tu le veuilles ou non, il te laissera en plan dès qu’il en aura fini d’elle. »

Il avait raison. Et il y avait de sacrées bonnes chances pour que Trans’ cesse de se conduire comme le brave toutou de Madame par la même occasion. Si on devait s’en prendre à lui, c’était le moment.

Les combattants ont continué à s’écharper encore un bon quart d’heure. J’avais l’impression que Trans’ ne parvenait pas à mener son combat aussi rondement qu’il l’avait espéré. Tempête lui donnait un méchant fil à retordre.

Mais il a gagné. En quelque sorte. Elle a cessé de résister. Lui restait pantelant, incapable de bouger. Elle l’avait enserré et bloqué de ses quatre membres. Il saignait par une multitude d’entailles. Il a grogné faiblement ; j’ai cru l’entendre maudire et promettre de tuer bientôt quelqu’un qui, apparemment, avait prêté main-forte à son adversaire.

« Tu as encore besoin de lui ? ai-je demandé à Madame. J’ignore ce que tu savais. Ça m’est égal, maintenant. Mais tu ferais bien de te demander ce qui risque de lui passer par la tête maintenant qu’il n’a plus besoin de toi ni de moi comme couverture. »

Elle a secoué la tête lentement.

Une forme s’est hissée par-dessus le parapet derrière elle. Un autre forvalaka, plus petit. J’ai pensé que nous étions dans de très sales draps, mais l’apprentie de Trans’ a commis une erreur tactique. Elle s’est mise à changer d’apparence. Elle a terminé sa mutation juste à temps pour crier Non ! à Qu’un-Œil.

Le sorcier avait empoigné un morceau de bois en guise de massue et, en deux pas et trois moulinets héroïques, il a proprement assommé Tempête et Trans’. Ils s’étaient mutuellement affaiblis à ce point.

La compagne de Trans’ s’est précipitée sur lui.

Murgen l’a déséquilibrée en lui jetant la hampe de l’étendard entre les jambes. Il l’a tailladée. Du sang a aspergé le drapeau. Elle s’est mise hurler comme à l’agonie.

C’est ce qui m’a permis de la reconnaître. Elle avait poussé des tas de hurlements la dernière fois que je l’avais vue, il y avait si longtemps.

À un moment donné pendant le tumulte, une nuée de corbeaux sont venus se percher sur les merlons, un peu à l’écart. Ils se sont mis à ricaner.

Tout le monde s’est jeté sur la femme avant qu’elle puisse faire quoi que ce soit. Gobelin l’a neutralisée par un rapide sortilège paralysant. Seuls ses yeux ont continué de rouler.

Qu’un-Œil m’a regardé et m’a demandé : « T’as ton matériel de suture sur toi, Toubib ? J’ai une aiguille mais je crois que je vais manquer de fil. »

Quoi ? « Ouais, j’en ai. » Je trimballais toujours mon petit nécessaire dans ma trousse.

« Donne. »

Je lui ai donné.

Il a asséné quelques coups supplémentaires à Trans’ et Tempête. « Juste pour s’assurer qu’ils sont dans les vapes. Ils sont privés de leurs pouvoirs spéciaux quand ils sont dans les vapes. »

Il s’est installé par terre et a entrepris de leur coudre la bouche. Quand il a eu terminé pour Trans’, il a dit : « Ligotez-le. Et tapez dessus s’il remue. »

Qu’est-ce qu’il fabriquait ?

Il me soulevait le cœur, et de plus en plus. « Mais qu’est-ce que tu boutiques, bordel ? » lui ai-je demandé.

Les corbeaux s’en payaient une bonne tranche.

« Je couds tous leurs trous. Pour que les démons ne puissent pas sortir.

— Hein ? » Peut-être que ça tombait sous le sens pour lui, mais pas pour moi.

« C’est un vieux truc de mon pays pour se débarrasser des nécromanciens possédés. » Après s’être occupé de leur orifices, il a cousu ensemble leurs doigts et leurs orteils. « Fourrez-les dans un sac avec cent kilos de lest et balancez-les dans le fleuve. »

Madame est intervenue : « Il faudra les brûler. Puis broyer leurs restes en fine poudre et la disperser aux quatre vents. »

Qu’un-Œil l’a dévisagée pendant dix secondes. « Vous voulez dire que je viens de me taper tout ce boulot pour rien ?

— Non. Ça aidera. S’agirait pas qu’ils gigotent trop sur le bûcher. »

J’ai posé sur elle un regard déconcerté. Ça ne lui ressemblait pas. Je me suis tourné vers Murgen. « Tu nous le hisses, cet étendard ? »

Qu’un-Œil a touché l’apprentie de Trans’ du bout du pied. « Qu’est-ce qu’on fait de celle-là ? Je lui fais subir le même sort, à votre avis ?

— Elle n’a rien fait. » Je me suis agenouillé près d’elle. « Je me souviens de toi, poupée. J’ai mis du temps parce qu’on ne s’est pas beaucoup fréquentés à Génépi. Tu ne t’y étais pas montrée gentille avec mon pote Marron Shed. » Je me suis tourné vers Madame. « Qu’est-ce qu’on fait d’elle, à ton avis ? »

Elle s’est abstenue de répondre.

« Bien, à ta guise. On parlera plus tard. » J’ai regardé l’apprentie. « Lisa Daela Bowalk. Tu m’entends énoncer ton nom, ainsi que tout le monde ici ? » Les corbeaux ont croassé entre eux. « Je vais te donner une chance. Que tu ne mérites probablement pas. Murgen, trouve-moi un local où l’enfermer. On la libérera quand on sera prêts à repartir. Gobelin, file un coup de main à Qu’un-Œil. » J’ai regardé l’étendard de la Compagnie, une fois de plus maculé de sang, qui flottait fièrement de nouveau. « Toi (je désignais Qu’un-Œil), ne prends pas ton boulot par-dessus la jambe. Sans quoi on en aura deux comme le Boiteux à s’acharner sur nous. »

Il a dégluti. « Ouais.

— Madame, je vous l’avais promis. Ce soir, intra-muros. Allons trouver une chambre convenable. »

J’éprouvais un passage à vide. Je me sentais la proie d’une confuse déprime, d’un vague à l’âme, du contrecoup de la victoire peut-être. Pourquoi ? Deux grandes calamités allaient bientôt disparaître de la face du monde. La chance avait favorisé la Compagnie une fois de plus. Nous avions ajouté quelques inconcevables triomphes à notre liste de victoires.

Nous nous étions rapprochés de notre destination de trois cents kilomètres de plus que prévu au départ. Il n’y avait aucune raison de craindre grand-chose de la part des troupes retirées dans la caserne au sud de la ville. Leur chef Maître d’Ombres était blessé. Les habitants de Couve-Tempête, pour la plupart, nous accueillaient en libérateurs.

Qu’est-ce qui me souciait de la sorte ?

 

Jeux d'Ombres
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